John Player et Glenda Leon

7 Juin - 20 Juillet 2013

Je cherche en ces peintures quelque chose qui fait naître en moi la peur.

— John Player

La peinture de John Player véhicule une impression de paranoïa retenue, un sentiment d'étouffement.

Il y a quelque chose de frugal, de minimal, dans son travail – une palette limitée et des sujets souvent banals, en rien marquants. Or, d'un certain aspect, la peinture de Player est remarquablement baroque : son aura de distance prégnante et envahissante crée un contrepoint de complexité marquant chacune des œuvres.

La distance se présente de multiples façons dans le travail de cet artiste. Dans ses images d'extraction de ressources naturelles et d'exploitation minière de sables bitumineux, il existe une distance visuelle qui permet au regardeur de saisir l'horrifiante ampleur des projets, tout en les neutralisant, en les transformant en maquettes, en objets de contemplation impartiale, observés depuis un point de vue détaché et sécuritaire. Ces images illustrent une des grandes contradiction de notre monde saturé par les médias : le cycle d'informations 24 heures sur 24 qui nous rapproche instantanément des événements, des conflits et des tragédies mondiaux, en les introduisant dans nos foyers, a aussi pour effet de les aseptiser au moyen de l'écran ou de la page, ainsi de les contenir et de les rendre distants. Ce glissement est important sur le plan conceptuel, tout particulièrement en ce qui a trait aux questions mondiales, tel le changement climatique. Notre attention est constamment attirée sur la menace de crises imminentes qui auront un impact direct sur nos vies, or ce faisant, ces crises deviennent simultanément distantes, communes, presque banales, mêmes irréelles.

L'œuvre de Player exprime également une impression de distance émotionnelle. Dans la toile au titre anodin Salle de conférence, nous sommes introduits dans l'espace vide d'une salle de réunion en pause. Nous ignorons la fonction de cette rencontre fantôme. Il pourrait s'agir d'une réunion de planification urbaine ou de préparation militaire. Il s'agit clairement d'un siège de pouvoir, somptueusement convenu et ennuyeux, un type d'espace où les gens prennent des décisions d'importance cruciale qui affectent d'innombrables vies. Cette représentation nous invite à poser un regard passif et impuissant sur l'espace, à l'observer avec une sorte d'intimité calculée, tout en y demeurant à jamais exclus – non seulement sommes-nous écartés du processus décisionnel, mais il nous est interdit aussi de comprendre, de savoir ce qui réellement se passe. Il s'agit d'un pouvoir faussement transparent, rendu superficiellement proche et accessible au moyen des médias, mais qui s'avère en bout de compte opaque et inatteignable par le commun des mortels. La distance émotionnelle et la monotonie jouent un rôle important dans le maintien du pouvoir, incitant les gens à demeurer désengagés et non informés. L'excitation et l'engagement émotionnel sont réservés pour des actes plus politiquement inconséquents, comme le sport, les films et la mode. Les œuvres de Player nous invitent à réfléchir à cette juxtaposition.

Il y a aussi chez Player une distance conceptuelle – elle passe par l'abstraction, à l'instar d'images passant à travers de multiples niveaux de médiatisation. Dans des œuvres comme Avion et File, nous voyons un triangle entouré d'un cercle peint au centre de chaque image. Plus que des formes abstraites, ces symboles évoquent l'icône vidéo omniprésente play, qui implique un processus, mais qui met également en relief une sorte de détachement formel. Les titres amplifient cette tension; ils éclairent des formes abstraites, tout en connotant quelque chose de plus politique et de sinistre. Dans Avion, nous voyons un bombardier B2 se faisant rééquiper pour une autre mission. Dans File, une rangée de policiers anti-émeutes nous fait face, or un vaste champ de gris oblitère leurs visages et tout trait pouvant les identifier. L'icône triangulaire play nous promet une action, celle de faire jouer une vidéo, de toute évidence un bref bulletin d'informations. Mais cela nous est refusé. Il ne se passera rien. Ceci est analogue au bulletin d'informations lui-même – il promet une certaine conscientisation, un engagement face à l'actualité politique, or il ne livre pas, se contentant plutôt d'être un bruit visuel additionnel dans la multitude de plus en plus encombrée du cycle continu d'informations et de divertissement diffusés sur Internet et par satellite. L'on se sent écrasé par une impression simultanée de paralysie et d'activité. Il s'en suit une impasse conceptuelle : un monde passif d'individus se tenant en toute sécurité devant leurs écrans, consommant avec inertie le menu des médias, dans lequel, simultanément, des bombes peuvent à tout moment tomber, des droits et libertés sont entravés par des états policiers de plus en plus répressifs, la société fait face à la menace d'un effondrement environnemental, etc. Devant un tel constat, la réaction est un cri. Un cri, cependant, inaudible, projeté vers l'intérieur, étouffé par des murs, par des milliers de kilomètres de câble de fibres optiques et de liaisons instantanées terre-satellite.

La peinture de Player traite d'une réalité aux prises avec de nombreuses et pressantes préoccupations politiques et économiques. Or, en transformant tragédies et catastrophes réelles en d'éblouissants barrages d'abstraction formelle, elle établit une hiérarchie visuelle qui inspire des sentiments d'apathie et de futilité. Ces œuvres agissent à la fois en tant que réponses à et réflexions sur cet état des choses.

Bien qu'indéniablement influencé par des peintres contemporains tels Peter Doig, Luc Tuymans et Gerhard Richter, Player a pour inspiration première Internet –
Internet qui permet des niveaux inégalés d'intercommunication, tout en étant immense, aliénant et presque anonyme dans son étendue massive et sa surinformation. La technique de Player est inspirée de l'absence de technique sur le Web – photos et vidéos d'amateur, mini bulletins d'informations accompagnés d'artefacts numériques. Player imite et exagère ces artefacts. Et si ses œuvres sont hantées par la passivité médiatique de notre époque, il tente, par la présence du geste délibéré de la peinture, de s'éloigner de cette inertie handicapante. Il tente d'humaniser des expériences qui sont intrinsèquement mécaniques et déshumanisants. En même temps, il est captivé par le spectacle lui-même, par sa beauté et sa puissance.

Lorsque Player parle de « peur », il ne s'agit pas simplement de la peur de conséquences négatives et de sombres futurs, mais aussi de la peur de nous-mêmes – nous et notre attrait pour le spectacle, pour la célébrité superficielle, pour la violence, pour la hiérarchie abusive et le pouvoir étincelant. Ses œuvres invitent à une réflexion critique sur l'éthique et la prise de décisions sociétales, mais elles offrent également une méditation plus ouverte sur nos désirs et les relations que nous entretenons avec les médias qui nous façonnent. 

- Neal Rockwell 

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Né à Victoria, en Colombie-Britannique en 1983, John Player détient un baccalauréat en arts plastiques de l'Université Concordia et termine présentement sa maîtrise en peinture et dessin à la même institution. Il a participé à diverses expositions collectives à Montréal, où il vit et travaille depuis 2004.

Neal Rockwell est un photographe indépendant, réalisateur et écrivain vivant à Montréal. Il a complété un baccalauréat à l'Université Emily Carr of Art and Design. Il a publié des photos et des essais dans les revues Poetry is Dead, Beaubien Magazine, Our Times et d'autres magazines. Ses films et œuvres d'art ont été présentés au Canada et à Berlin.

Site web de John Player
cliquez ici pour télécharger un C.V. récent de l'artiste (01/2013)
- Eloi Desjardins, «John Player» Un show de mot'arts, 18 jullet 2013
- Maude Lefebvre «John Player et Glenda Leon à Pierre-François Ouellette art contemporain» The Belgo Report, 3 juillet 2013 
- Montréalistement « Peinture extrême : second parcours » Montréalistement, 2 juillet 2013

 

L’idée m’est venue durant une conversation avec deux banquiers et collectionneurs d’art français. Le titre espagnol Inversión a deux sens : 1) investir de l’argent dans quelque chose; 2) tourner quelque chose à l’envers, renverser l’ordre habituel des éléments de quelque chose.

Ce geste absurde d’inhaler de l’argent comporte des connotations économiques évidentes. Il fait référence à la crise actuelle, et questionne également notre structure sociale la plus établie : l’argent comme objet de désir.

Alors que la plupart des gens travaillent pour obtenir de l’argent, la réalisation de cette vidéo m’a conduite à investir mon temps, et une part de mes économies, à le détruire. Faire de l’art, après tout, a toujours été associé à un détachement de l’utile. 

Les significations potentielles de cette vidéo sont nombreuses. Ceci n’est qu’une piste, avec un espace de silence/muet à être complété par chacun des regardeurs.

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Glenda León (La Havane, 1976) est une artiste en arts visuels travaillant à La Havane et à Madrid. Son travail s'étend du dessin à l'art vidéo, et inclut des oeuvres installatives, des objets, et de la photographie.

Elle s'intéresse aux interstices entre le visible et l'invisible, entre le son et le silence, entre l'éphémère et l'éternel.