Charles-Antoine Blais Métivier @ pfoac221

16 Mars - 20 Avril 2013

Point de fuite
Un texte d’Alexandre Poulin

L’accumulation, les procédés d’abstraction formelle et la (sur)médiatisation de la sphère privée constituent trois déclinaisons que s’évertue d’investiguer l’artiste Charles-Antoine Blais-Métivier en regard de l’image. Déambulant dans les espaces publics que sont la ville et le web, tout en empruntant au sérieux de la recherche anthropologique, l’artiste s’approprie, répertorie, analyse et révèle le potentiel poétique de représentations diluées dans le surnombre. Avec Point de fuite, c’est d’ailleurs en tant que système de signification qu’il interroge les nombreux cas de disparitions d’animaux signalés par des affiches si récurrentes sur le territoire montréalais.

De la surenchère visuelle
L’hétérogénéité que révèle d’abord cette collection de 240 exemplaires (120 de chats, 120 de chiens) est attribuable à toute installation d’archives : « Dans ce type d’installations, indiquent Garance Chabert et Aurélien Mole, la singularité de chaque image - son origine, son histoire, sa spécificité – n’a pas d’importance ; n’entre en considération que l’aspect commun et thématique qui la fait participer au projet global [1] ». Exposée, la collection de Blais-Métivier souligne la perte d’unicité de ces drames du quotidien qui tendent à se discréditer par leur profusion. Si ces appels à l’aide devenus presque banals – voire dérisoires – présentent évidemment quelques variantes au niveau de leur structure sémiotique, c’est le caractère « urgent » à l’origine de leur création même qui semble se dissiper dans la foulée des redondances. De ce contexte d’urgence qui les fait naître émerge de serviles reproductions provoquant par défaut le risque de leur propre disparition. 

Abstraire le poétique 
Les actions artistiques que l’artiste réalise à partir de ces affiches chargées symboliquement vacillent entre la révélation de cette perte d’unicité et l’expression de la persistance singulière d’une aura tragique.

En premier lieu, le procédé de superposition réalisé à partir d’une numérisation de l’ensemble des affiches permet à Blais-Métivier d’en abstraire une seule forme abstraite qui constitue l’œuvre Trou noir (présentée en deux versions : canine et féline). L’objectif derrière ce travail de « postproduction[2] » est de « tenter de découvrir si une certaine universalité du tragique ne saurait ressortir de ces micro-évènements[3] » noyés dans la surenchère. Le résultat laisse transparaître ce qui pourrait être l’aura des disparitions : « une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-il[4] ». La forme évoque en outre pour l’artiste le phénomène astrophysique des trous noirs auquel l’œuvre emprunte son titre, accentuant l’idée d’un espace-temps représenté.

À partir de ses observations, Blais-Métivier émet l’hypothèse de l’existence d’une brèche spatio-temporelle où convergeraient les animaux disparus. Fidèle au processus de collecte qui repose sur sa propre circulation dans l’espace, il s’attarde donc à la constellation géométrique que représente la récurrence de ces objets dans le tissu urbain. Au cours d’une enquête de géolocalisation nommée Étude sur les points de convergences entre les disparitions des animaux domestiques sur l’île de Montréal, il identifie par une série de calculs mathématiques la coordonnée géographique ultime – le « point de fuite » des animaux disparus – qui serait située dans un terrain vague au coin des rues Laurier Est et Fullum, en plein cœur du Plateau Mont-Royal. Au terme de la recherche en avril 2012, il convoque l’ensemble des propriétaires endeuillés sur les lieux dans son « bureau d’enquête ambulant », où ces derniers sont mis aux faits de ses conclusions[5]. Bien que Blais-Métivier dupe ce public autant qui le fascine, le récit fictionnel émergeant de la collecte permet de dévoiler le potentiel poétique du quotidien et d’invoquer l’archétype de l’ « artiste-chercheur[6] ». 

Révéler le rituel
Ce travail de recherche basé sur l’observation accrue de son environnement et des formes qui le constituent est au cœur de la pratique de Blais-Métivier. Avec People with IPhone (2012), ce qui intéresse l’artiste est ce phénomène d’autoportraits devant miroir captés par téléphone et archivés sur le web[7]. Superposées, l’ensemble des images révèle différentes couches temporelles du geste répété et démontre non seulement la non-originalité de l’acte, mais surtout la prépondérance d’une obsession pour le corps et sa représentation. After Faceb00k, un projet en cours réalisé en collaboration avec Serge-Olivier Rondreau[8], questionne également la redondance d’images dans un rapport d’autoreprésentation médiatisée sur le web. Lorsqu’il intervient sur l’image (en les juxtaposant ou les superposant), l’artiste accentue l’idée d’une altération de l’unicité du sujet en insistant sur la présence de codes, de conventions et d’automatismes qui caractérisent sa production et sa diffusion. 

Ce qui est particulièrement évocateur dans le cas de Point de fuite est cet accent mis sur la nécessité, pour le producteur de l’image, d’inscrire dans la sphère publique un geste quasiment vain. Alors se pose la question à savoir si les affiches de bêtes disparues, tout comme les autoportraits photographiques sur le web, ne participeraient pas à un certain processus de commémoration publique, plutôt que de servir une quelconque finalité utilitaire (retrouver l’animal, relater un événement, séduire l’autre, etc.). Le rôle de la médiatisation de ce privé prend dès lors une fonction rituelle et, par extension, le geste de l’artiste tend à accorder aux images trouvées le statut de trace, d’icône ou d’objet-rituel. Blais-Métivier s’affairerait ainsi à révéler le potentiel poétique résidant dans ces multiples phénomènes sociaux, dans ces comportements communs, en somme dans ces actes nous projetant dans l’observation de rituels contemporains.

 

Notes

[1] Garance Chabert et Aurélien Mole, « Artistes iconographes », dans Art 21, no 25, hiver 2009 – 2010. 
[2] Sur la postproduction, consulter l’ouvrage de Nicolas Bourriaud, Postproduction, Paris, Les presses du réel, 2004, 96 p.
[3]  Charles-Antoine Blais-Métivier, extrait de démarche, http://charles-antoine.ca/photos/perdu--lost/.
[4]  Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée » [1936], dans Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 144.
[5]  Cette intervention publique a été réalisée dans le cadre du projet collectif Complot 9 : Gravité / Graviter. Pour plus d’informations, voir la publication Complot 9 : Gravité / Graviter, Montréal, Éditions Complot, 2012, 107 p.
[6]  Tel qu’évoqué par l’artiste et philosophe Hervé Fisher dans « Artistes-chercheurs : ils ont un rôle à jouer dans la nouvelle économie », La Presse, Montréal, 20 mars 2001, p. A17. 
[7]  Notamment sur le tumblr « Guys with IPhone » : <http://guyswithiphones.com/>.
[8]  Pour voir le site web du projet : <http://afterfaceb00k.com>.

Biographies

Né en 1986, Charles-Antoine Blais-Métivier détient un diplôme en arts visuels et médiatiques (UQAM). Son travail a été présenté sous forme d’expositions collectives dans différents lieux de diffusion montréalais, notamment au Centre Clark, à la galerie Les Territoires, à la galerie Art Mûr et chez ARPRIM. En 2012, il était de la sélection du festival Art Souterrain et réalisait une résidence d’artistes au centre Skol, dans le cadre du projet After Faceb00k (en collaboration avec Serge-Olivier Rondeau).

Né en 1988, Alexandre Poulin poursuit des études à la maîtrise en histoire de l’art (UQAM). Ses recherches se concentrent sur la notion de perte à titre de mécanisme de résistance en art actuel. Il collabore régulièrement en tant qu’auteur avec différents lieux de diffusion. En 2012, il a été co-coordonnateur de Projet Complot 9 et agit à titre de chef de pupitre de la critique en arts visuels pour l’Artichaut, revue des arts de l’UQAM.